Sémites et Africains sont incarnés par des acteurs nordiques, Hercule ne finit pas sur le bûcher, Sapho n’aime pas les filles, Salomé danse pour sauver Jean-Baptiste, Marc Aurèle n’a jamais massacré personne et les figurants de Spartacus ont oublié de retirer leur montre… L’histoire et les mythes de l’Antiquité n’ont cessé d’être bousculés par les cinéastes. Mais que de bonheurs coupables ce genre exubérant ne cesse de nous prodiguer, avec son défilé de martyrs extatiques, de reines perverses déguisées en danseuses de taverne et de héros musclés en minijupe, ne refusant jamais une bonne étreinte virile.

L’Histoire…

La France, l’Italie, puis Hollywood se lancent dans la course. Les films d’une bobine durent moins de dix minutes, présentant une suite de tableaux vivants disposés devant des toiles peintes. À ces bandes sommaires de la première décennie du XXe siècle succèdent bientôt les premiers longs métrages venus d’Italie.

La Seconde Guerre mondiale retarde de dix ans le tournage du Quo vadis de la MGM, à Rome, dans les studios de Cinecittà inaugurés en 1937 par Mussolini. Côté italien, le coup d’envoi est donné en 1949 avec Fabiola, superproduction italo-française signée Alessandro Blasetti. Si Riccardo Freda aligne deux chefs-d’œuvre consécutifs, Spartacus (1953) et Théodora  (1954), le second âge d’or du genre n’est véritablement lancé qu’avec le triomphe international des Travaux d’Hercule, de Francisci (1958). Acteurs et réalisateurs américains vont goûter la dolce vita sur les bords du Tibre, alternant homélies édifiantes, récits mythologiques déviants ou adaptations littéraires «  sérieuses  ». En haut du panier, Wyler, Kubrick, Mann et Mankiewicz s’en tirent avec les honneurs de la critique, tandis qu’en seconde division Bava, Freda et Cottafavi justifient la ferveur des plus jeunes. Près de 200 films historico-mythologiques sont produits au cours de ce nouvel âge d’or du genre, brassant  l’histoire et les mythes avec une réjouissante désinvolture. Le tournage pharaonique de Cléopâtre (1963), suivi par l’échec commercial de La Chute de l’Empire romain, sonne la fin de la partie. Les Italiens délaissent également les pectoraux luisants de Maciste pour filmer les trognes mal rasées des cow-boys d’Almería.

La renaissance des années 2000

Hollywood, 1998, le feu vert est donné au tournage de Gladiator. Les derniers témoins du désastre financier du Cléopâtre de Mankiewicz ont quitté la scène. Régulièrement célébré par le petit écran, aussi bien par le biais de rediffusions que par la production de nouveaux téléfilms, le péplum peut enfin renaître sur le grand écran. Étrangement, le scénario de Gladiator démarre de façon identique à celui de La Chute de l’Empire romain (1964),  l’ultime superproduction de l’âge d’or. Bénéficiant d’une intringue plus resserrée que celle du film de Mann, de personnages mieux définis, Ridley Scott signe une œuvre puissante, émouvante et sombre, se concluant par la mort du héros, fait rarissime dans un film de ce calibre. Le spectacle, magnifique, se double d’une réflexion sur le rapport au pouvoir et la manipulation des foules.

Succès commercial planétaire, accueil critique enthousiaste, 45 distinctions, 5 Oscars, dont celui du meilleur film de l’année, Gladiator marque la renaissance officielle du péplum. Le réalisateur allemand Uli Edel signe en 2002 un excellent Jules César, malheureusement passé inaperçu. Tel ne sera pas le sort du film de Wolfgang Petersen, Troie (2004), prestigieuse réponse de la Warner au Gladiator d’Universal. Grâce aux renforts de l’imagerie numérique, le spectacle s’avère visuellement impressionnant. La plupart des personnages secondaires, dont l’émouvant Priam (Peter O’Toole), sont remarquablement dessinés. Sans égaler le chef-d’œuvre de Robert Wise, le film de Petersen confirme, au même titre que l’excellent téléfilm Hélène de Troie (2003), de John Kent, que L’Iliade porte chance aux cinéastes.

Gladiator de Ridley Scott

Deux séries TV cultes…

« Il y avait dans cette légion deux centurions d’une grande bravoure, qui approchaient des premiers grades, Titus Pullo et Lucius Vorenus. » Ce n’est pas le synopsis d’un film, mais un extrait de La Guerre des Gaules . Au détail près que Titus Pullo va se voir rétrograder au rang de simple légionnaire, ces deux personnages cités par César sont devenus, en 2005, les protagonistes de Rome, la prestigieuse série de la HBO créée par Bruno Heller et John Milius : un budget de 100 M$, des acteurs britanniques, une équipe italienne recrutée à Cinecittà, sept Emmy Awards. Malgré quelques menues entorses, Rome éblouit les amateurs du genre par sa densité narrative, tout autant que par la rigueur de sa reconstitution historique. Dans la formidable série Spartacus (2010-2013) de Steven DeKnight, la qualité de l’écriture et de la production compensent les approximations historiques, offrant un spectacle d’une intensité dramatique rarement égalée sur le grand comme sur le petit écran.

… et deux derniers grands films

Centurion de Neil Marshall

Le mythe de la légion massacrée par les Pictes, qui a inspiré le beau roman de Rosemary Sutcliff, L’Aigle de la neuvième légion (1954), donne tout d’abord une minisérie de la BBC (1977) est à l’origine des deux derniers grands péplums cinématographiques des années post-Gladiator : Une nouvelle adaptation du roman de Sutcliff, joliment réalisée par Kevin MacDonald (2011). Quelques mois plus tôt, Neil Marshall nous avait joué la même partition sur le mode d’une chasse à l’homme musclée dans son épatant Centurion. Le point de vue idéologique de Marshall s’éloigne du patriotisme rassurant structurant le roman de Sutcliff. Héros et salauds se retrouvent à parts égales dans les deux camps, les élites romaines sont clairement représentés comme des vermines cyniques et manipulatrices. Le centurion Quintus Dias (Michael Fassbender, en bas à droite) ne pourra s’ancrer que dans l’entre-deux, au-delà du mur d’Hadrien, pour espérer survivre en paix avec sa compagne  bretonne, elle aussi rejetée par sa communauté.

Après une décennie de demi-sommeil, nul doute que le Péplum ne fasse très bientôt un brillant retour.

Rédigé par Chritophe Champclaux, spécialiste du cinéma

Pourquoi “péplum” ?

Le qualificatif français du genre, latin de cuisine adapté du mot grec peplos (tunique), est une référence probable au film de Henry Koster La Tunique (1953). Aujourd’hui, le terme « péplum », sans accent hors des frontières de l’Hexagone, est adopté par  les cinéphiles du monde entier. Claude Aziza, maître de conférences à l’université Paris-III, enquêta sur les premières occurrences du terme. Il fut d’abord utilisé verbalement sous la  forme « film à péplum » par le groupe de cinéphiles parisiens du Nickelodeon, regroupés autour de Bertrand Tavernier, Yves Martin et Bernard Martinand. La première trace écrite remonte à 1963, alors que le genre, au faîte de sa popularité, suscite ses premières exégèses.

Six décennies plus tard, le péplum est pleinement reconnu, étudié dans la plupart des pays ayant eu un rapport direct avec les civilisations égyptienne, hébraïque, grecque et latine. Sites Internet, éditions DVD et Blu-ray, ouvrages spécialisés viennent régulièrement entretenir sa pérennité, justifiant auprès des producteurs de cinéma et de télévision la mise en chantier de nouveaux films, de nouvelles séries.